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Océane passa une bonne partie de l'après-midi à se préparer pour son rendez-vous galant. L'ANGE avait versé à son nouveau compte en banque suffisamment d'argent pour qu'elle s'achète une robe de soirée moulante et de nouvelles chaussures plus féminines que celles qu'elle portait à Toronto. Elle coiffa ses cheveux, fit une pirouette dans un nuage de parfum et s'admira dans la glace de sa chambre d'hôtel.
— Tu as belle allure, Orléans, déclara-t-elle sur un ton macho.
Cédric n'avait pas du tout été amusé d'apprendre qu'elle avait choisi son propre nom de famille pour cette mission. Mais Vincent, lui, avait trouvé que c'était une bonne idée. Il avait donc fabriqué de faux papiers et trafiqué les bases de données du Québec et de la France avant que le directeur ne soit mis au courant.
— C'est mon père, alors j'ai bien le droit d'utiliser son nom, s'était justifiée Océane.
Elle descendit à la réception de l'hôtel à l'heure convenue, fière de faire tourner toutes les têtes. Une limousine l'attendait devant la porte. « Au moins, celui-là sait sortir une fille », songea-t-elle avec amusement. Elle se laissa conduire en mémorisant le chemin emprunté par la grosse voiture, juste au cas. Cette dernière quitta la ville et grimpa dans les collines jusqu'à ce qu'elle atteigne un vignoble privé. « Est-ce là qu'il habite ? » s'étonna l'agente. Les documents qu'elle avait consultés évoquaient plutôt une grosse villa un peu à l'extérieur de la ville.
Lorsque la limousine s'arrêta enfin devant la porte principale de la grande maison en pierre, ce fut Asgad lui-même qui vint lui ouvrir la portière. Il lui prit la main et l'aida à sortir de la voiture en humant son parfum.
— J'ignorais qu'il y avait un restaurant ici, indiqua Océane.
— Tout ce qui existe dans l'univers peut être transformé quand on possède une grande fortune. Ce vignoble appartient à l'un de mes amis qui a accepté de me le prêter ce soir.
— Êtes-vous en train de me préparer un conte de fées ?
— Je m'apprêtais à dire « une soirée de rêve », mais votre expression est plus jolie que la mienne.
Il l'escorta à l'intérieur de la bâtisse où une seule table avait été dressée. Des chandeliers très anciens fournissaient le seul éclairage de la pièce. Océane fut incapable de deviner à quoi cette dernière pouvait servir en temps normal. Ce soir-là, on l'avait tout simplement décorée pour en faire un petit coin romantique pour deux. Asgad fit asseoir l'agente en caressant délicieusement ses épaules et ouvrit une première bouteille de vin. Elle accepta la fine coupe avec un sourire émerveillé.
— Êtes-vous un prince charmant ?
— Peut-être bien. J'aime bien vos contes d'Amérique. Si cela vous intéresse, je vous montrerai l'étang où, il n'y a pas longtemps, j'étais encore une grenouille.
Il l'incita à boire un peu de vin. Celui-ci était si doux et si parfait qu'elle se surprit à fermer les yeux pour le déguster.
— Je ne suis pas une experte, mais c'est vraiment bon.
— Le maître de ces lieux sera content de l'apprendre.
Il prit place dans le fauteuil opposé à celui de la jeune femme. S'il n'était pas un prince, il en avait du moins la prestance.
— Parlez-moi de vous, mademoiselle Orléans.
— J'imagine que vos avocats vous ont déjà fourni tout mon dossier en vous recommandant de vous méfier parce qu'à trente ans je suis encore célibataire, n'est-ce pas ?
Il se mit à rire de bon cœur.
— Je n'ai jamais connu de femmes comme vous. Y en a-t-il beaucoup d'autres chez vous qui vous ressemblent ?
— Je crains que non. Je suis unique. Dites-moi ce qu'ils vous ont dit.
— C'est mon secrétaire qui a fait cette petite enquête. Vos diplômes l'ont beaucoup impressionné. Il pense toutefois que vous auriez dû passer moins de temps à l'école et plus de temps sur le terrain, où se joue la vraie vie.
— Je suis encore jeune.
— Jeune et très belle. Si ce sont les vieux monuments qui vous intéressent, je crois que je pourrais vous faire une proposition qui vous obligera à passer le reste de votre existence ici.
Elle sirota son vin en le regardant droit dans les yeux. « Je suis comme ma mère, j'aime les hommes mystérieux… et les reptiliens », se rappela-t-elle. Cédric lui avait répété mille fois avant son départ de demeurer sur ses gardes, car l'Antéchrist était un Anantas, donc plus dangereux que les Dracos. « Mais il n'a pas l'air dangereux.
Arrivant de nulle part, des serviteurs en livrée déposèrent sur la table du pain cuit au four, des fromages variés, des fruits, des légumes, des olives noires, une salade colorée qui sentait l'ail, des quiches et des grillades de poisson.
— Tout cela, c'est juste pour nous ?
— Je ne connais pas encore vos goûts, alors je me suis dit que vous aimeriez goûter de tout.
Et c'est ce qu'elle fit au grand bonheur de son hôte jusqu'à ce qu'elle soit saturée. La nourriture était vraiment excellente. Quelques coupes de vin plus tard, Asgad la convia à marcher avec lui dans le vignoble. Des torches avaient été allumées sur leur chemin. Océane regretta tout de suite d'avoir acheté des talons aiguilles. Ils durent donc s'arrêter au bout d'un moment, car elle n'arrivait pas à conserver son équilibre.
— Il fait beaucoup plus frais ici qu'en ville, remarqua-t-elle.
L'entrepreneur retira sa veste et la déposa sur les épaules de la jeune architecte, en parfait gentleman. Océane constata qu'ils étaient arrivés au bord d'un étang.
— C'est ici que je suis né, plaisanta-t-il.
Elle s'esclaffa, quelque peu encouragée par les effets de l'alcool. Il la serra doucement dans ses bras et l'embrassa. À sa grande surprise, elle ne tenta pas de l'arrêter et se surprit à répondre à ses avances. « Finalement, cette mission n'est pas si mal », se dit-elle. Elle aurait pu tuer Asgad ce soir-là en l'assommant et en le noyant dans la mare, mais une émotion étrange commençait à naître en elle. Même si elle savait qui il était et ce qu'il allait faire dans trois ans, elle éprouvait une attirance grandissante pour cet homme d'affaires exceptionnel. « C'est quoi, le féminin d'Antéchrist ? » se demanda-t-elle en se laissant étreindre passionnément.
— Je crois que j'aime de plus en plus Jérusalem, annonça-t-elle entre deux baisers.
Elle ignorait évidemment que c'était son sang reptilien qui commençait à se manifester. La partie animale de son cerveau, qu'elle avait inconsciemment refoulée toute sa vie, se réveillait. Rien, dans sa vie amoureuse, ne l'avait préparée à cette rencontre électrisante avec un mâle de son espèce. « Cédric ne me fait pourtant pas cet effet-là, mais je le trouve très beau », songea-t-elle.
Asgad la ramena à la maison, où les serviteurs avaient disparu. La table avait même été remplacée par un grand lit recouvert de pétales de rose. Océane cessa de raisonner et se laissa emporter dans un tourbillon de sensations nouvelles jusqu'à ce qu'elle sombre dans le sommeil. Juste avant de s'endormir dans les bras de l'empereur, elle se surprit à penser qu'il lui avait fait l'amour de la même façon que Yannick…